De l'intemporalité du traumatisme d'enfance, ou le refus des êtres brisés (1sur5 - pédocriminalité)

 Aujourd'hui j'ai regardé le film "1 sur 5" de Karl Zéro, d'après le manifeste contre la pédocriminalité "1 sur 5" de Homayra Sellier, Serge Garde et Karl Zéro.

Vous pouvez le visionner ici:

Une fois visionné, voici ce que j'ai eu besoin d'écrire;

 

    "Cher lecteur,

    S'il vous arrive de répondre des phrases du genre "ça fait 5ans/10ans/20ans/etc" ou encore "c'était dans ton enfance/adolescence maintenant tu as 30ans/40ans/etc", lorsque quelqu'un vous parle de ses traumatismes et que vous jugez cela trop redondant/pas assez grave, s'il-vous-plait, arrêtez.

    J'explique;
Déjà vous n'aidez pas, vous jugez et faites culpabiliser, cela n'a aucune utilité.
Pire, en ces termes là vous délégitimez la personne, alors que vous n'êtes pas elle, que vous ne connaissez que sa surface (tout comme elle ne connait que la votre). La partie émergée de l'iceberg pour ainsi dire. Peu importe vos impressions, votre intimité avec la personne: vous n'êtes que vous.
Si une situation vous paraît facile a oublier, un tiers y passera peut-être toute sa vie; vous n'avez pas à juger/critiquer cela. Et si c'est trop embêtant pour vous de continuer à écouter une personne, vous avez parfaitement le droit de cessez votre relation avec cette personne, quelle qu'elle soit.

    Le temps aide à avancer, certes, mais l'évolution n'est jamais en ligne continue. Il y a forcément des rechutes, des hauts et des bas, y compris lorsque la courbe monte. Vous n'êtes pas à même de juger de l'importance de traumas quand vous n'en êtes pas la victime. Donc critiquer les rechutes de quelqu'un, peu importe la manière, c'est stérile. Vous pouvez signaler à la personne que ça fait longtemps et que ça vous pèse à la longue, mais juger: non.

    Par ailleurs, si vous aimeriez que l'autre taise ses problèmes, pourquoi n'êtes-vous pas capable alors de vous taire lorsque vous estimer son mal-être périmé?
Votre agacement ne cacherait-il pas une sorte de mal-être dont vous n'avez même pas conscience? Une résilience que vous vous seriez infligé inconsciemment? Cet énervement vis à vis de votre interlocuteur ne serait-il pas juste une réponse maladroite, directement en lien avec vos propres douleurs?
Vous pensez peut-être "Si j'ai été capable de tout garder pour moi et avancer, il/elle le devrait aussi!" ou "Ce n'est pas si grave, moi j'ai vécu ceci et cela et je ne me plain pas/plus, j'avance"...? Parce que vous en êtes capable l'autre le devrait tout naturellement? Parce que vous jugez que votre vécu est pire, vous dénigrez la douleur de l'autre?
La première phrase a un nom, ça s'appelle une projection. Vous projeter sur l'autre votre personne.
La deuxième est un jugement où le référent de base est unique et c'est vous. Vous niez par là l'unicité de chacun. Refusez toute différence. C'est une étroitesse d'esprit.

Or peu importe nos similitudes, chaque être humain est unique.


    On vit également dans une époque d'apparences qui exige ne ne montrer que le "meilleur" de soi.
Pas de faiblesses. Tu as vécus des traumatismes? Chut. Tais-toi. On ne veut pas savoir. On ne veut pas t'entendre. On ne veut pas froisser notre semblant de bonheur. On ne veut pas réfléchir à ça.
Une vraie petite vitrine bien astiquée.
Pas un défaut, pas une rayure.
Lisse.
Ou alors... la douleur devient "belle" on créer des œuvres artistiques sombres que les autres accepteront davantage qu'un écrit noir sur blanc ou un récital sur nos souffrances.

    Or on ne (re)devient pas magiquement quelqu'un de lisse quand on a été brisé, ou quand on n'a pu se construire à l'heure où il le fallait. Même avec des efforts et des moyens, qui voit sa réputation entachée ne la retrouvera pas de si tôt!
    Imaginez donc un vase qui se serait cassé et dont on aurait recollé les morceaux: dans le meilleur des cas on ne vois pas ou presque pas les anciennes traces de fêlures, c'est presque lisse. Avec un peu de lime et d’entretien, on peut finir par n'y voir que du feu. Dans les moins bon cas il y a des morceaux qui ont disparus et le vase même recollé présente des imperfections bien visibles, des traces de fêlures apparentes, peu importe les efforts pour les masquer. Dans les deux cas, le vase sera devenu plus fragile. Dans les deux cas, si le vase retombe, il se brisera encore plus, ouvrant d'anciennes plaies et/ou en créant d'autres.
La vie est à l'image de ce vase.
Nous tombons tous, enfin presque tous.
Mais nous ne tombons pas de la même hauteur ou de la même manière. Notre vase (la psyché?) n'a pas la même forme, la même taille, le même matériaux qui le compose etc. Tout cela a une importance lors de l'impacte avec le sol. Toutes ces différences comptent et font que nous sommes tous différents et ce même avec un vase similaire en tout points! C'est pourquoi certains vases même en tombant ne se brisent pas, peut-être ont-ils chuté sur de la moquette épaisse à 2cm du sol. Là où leur jumeau aura échappé au drame en rebondissant sur une autre surface avant d'atteindre une fine moquette sans se briser. Là où leur triplé sera délibérément lâché à un mètre d'un sol en marbre, finissant en miettes.
    Oui. Certains vases seront si fragiles et si peu chanceux dans leur chute qu'ils se briseront en de trop petits morceaux pour être recollés; des grains de sable, une poussière infime et invisible à l’œil nu. A ce moment là, le vase détruit n'est pas récupérable. Et souvent, il fini à la poubelle (décès des suites de maladies chroniques ou suicide par exemple) ou-bien on en garde que quelques morceaux qu'on ne pourra jamais recoller, les manquants étant trop nombreux.

    Dans tout ça on peut aussi se demander: "Qui est le plus beau? Le vase tout neuf, sans égratignures, créé à la chaîne, ou le morceau de vase antique, une pièce unique?" La réponse est une affaire de goût. Mais le morceaux antique aura toujours plus de valeur. Parce qu'il aura vécu.
De même, les personnes au lourd passé m’apparaissent toujours plus profondes et intéressantes que les autres. Se briser implique des efforts de reconstruction qui, immanquablement, vous font différer de ceux qui ont gardé un vase intact. Ce que deviennent les personnes brisées, par contre, n'est pas toujours vertueux... L'expérience de drames et souffrances n'est pas un gage d'intelligence ou d'empathie. Malheureusement.


    En tout cas, si vous êtes agacé par quelqu'un qui semble coincé dans son passé traumatique et que ça fait longtemps que vous l'écoutez radoter, ça se comprends parfaitement, aucuns doutes là dessus.
Simplement, suivant l'importance que vous accordez à cette personne et ce qui vous paraît tolérable ou non, vous pouvez parfaitement expliquer gentiment à cette personne que vous ne pouvez plus l'écouter. Soit parce que ça vous mine, sois parce que vous ne la comprenez pas, peu importe la raison (que vous n'êtes même pas obligé de donner). Vous n'avez nullement besoin de vous positionner sur ce qu'elle ressent (en la jugeant) pour demander à souffler.
Et si la personne ne vous écoute pas et continue, vous avez le droit de couper les ponts de manière tranchée.
Mais vous n'avez pas le droit de lui reprocher de ne pas changer.
Chacun sa vie.
Tant pis si l'autre vous regrette après votre départ, ça s'ajoutera au reste, c'est tout. Il est normal de se préserver: on ne peut pas porter tous les maux de la Terre sur nos épaules.

 

    Voilà pourquoi, Mesdames, Messieurs, et tout le spectre entre les deux (ou en dehors);
Non. Non on ne se complait pas forcément quand on parle de la même chose pendant plusieurs semaines, mois ou années. Oui, il peut y avoir obsession. Est-ce une raison de juger? Non.
S'exprimer fait toujours partie du processus de reconstruction.
Voilà pourquoi j'écris.
Et aujourd'hui, c'est le film "1 sur 5" contre la pédocriminalité qui me fait pianoter sur mon blog tout ce qui est ci-dessus. Les témoignages m'ont touchés. Forcément, ils m'ont trigger des souvenirs désagréables. Mais surtout, je me suis retrouvée dans les citations suivantes
à propos de l'amnésie traumatique et des flash-back/émergence des souvenirs traumatiques:

    
"Survivre implique une dépense énergétique considérable, survivre implique qu'on tourne le dos à la vie, survivre signifie qu'on passe à côté de sa vie, survivre signifie qu'on déploie le plus clair de son temps et de sa vie à lutter contre l'émergence du trauma."
"Les femmes le payent très cher: beaucoup passent à côté de leur féminité, passent à côté de leur sexualité, passent à côté d'une vie de couple, et passent même à côté de la possibilité d'être mère." - Luis Alvarez (Psychiatre de l'enfant et de l'adolescent)
 
    " [...] Cette espèce de cage où sont enfermés les souvenirs de viol, fait qu'il y a toute une zone de ma vie qui n'a pas pu se développer. C'est a dire que j'ai eu une vie intime hyper compliquée, j'ai eu à l'adolescence des troubles du comportement alimentaire, j'ai eu une phobie scolaire, j'ai eu une dépression. Et qui fait qu'en fait j'étais quelque part dissociée de l'être profond que j'étais, tant que ma mémoire traumatique ne s'était pas libérée" Mie Kohiyama (Présidente de l'association "MoiAussiAmnesie")
 
    "On s'est orientés vers la paix sociale envers les agresseurs en leur disant "non voilà, à un moment y'a prescription, et vous ne pourrez plus être accusé des crimes que vous avez commis" et on va dire à la victime "bon par contre alors toi secoues-toi faut que tu parles avant 48 ans et puis après, bah écoutes, bah non. Après c'est fini c'est oublié tu comprends..." et toi victime de viol dans l'enfance et bah tu vas prendre sur toi, tu vas faire tout un travail pour être sur un chemin de résilience: c'est ton problème. Donc tu vas te payer tes soins, tu vas te payer ta thérapie, ça va te coûter très très cher, tu vas probablement être une personne en marge [...] parce que psychologiquement, tu ne trouves pas l'équilibre pour avancer, et là on te dira "bah ouais mais t'as pas parlé assez tôt, il aurait fallu que tu te bouges le cul avant"." Andréa Bescond (Réalisatrice de "Les Chatouilles" 2018)



    Ces phrases tirée du film par mes soin, je finis en disant qu'à partir du moment où on comprend tout ça (l'énergie que les traumas nous prennent, le temps), qu'on est lucide, qu'on a intégré la chose: ÉVIDEMMENT qu'on a pas envie de passer du temps avec les personnes qui nous ont fait du mal, qui nous ont empêchés de nous construire et nous ont fait perdre du temps par rapport à ceux qui n'ont pas d'expérience traumatique dans leur enfance/jeunesse.
Évidemment qu'on a pas envie de laisser les personnes qui en ont profité pour nous détruire davantage, faire leur vie sans jamais payer pour leurs actes! 
Évidemment qu'une colère s'installe: si la colère n'est pas là, c'est le vide et la mort à petit feu.
Évidemment que parfois, souvent, tout va bien dans le meilleur des monde. Et on oublie, fort heureusement, toutes ces choses pathétiques qui ont endurci notre caractère, le temps d'une valse au paradis!
 
Peace.
"

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